“ C’était le meilleur et le pire des temps…
le printemps de l’espérance et l’hiver du désespoir ” – Dickens No. 159

En 1986, la Commission Internationale pour l’Apostolat de l’Education Jésuite (ICAJE) a publié le document Les Caractéristiques de l’Education Jésuite. Dans sa lettre de présentation du document, le Père Général Peter Hans Kolvenbach a déclaré que ce document « peut nous donner une vision commune et un sens commun de notre dessein ». Cette vision est celle d’une « personne bien formée qui est intellectuellement compétente, ouverte au progrès, religieuse, aimante, et qui s’est engagée à faire la justice dans le généreux service du Peuple de Dieu ». (N°166) Ce document a été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme dans les écoles, car il offrait un sentiment d’unité et un objectif commun qui a finalement remplacé la Ratio Studiorum de 1599.

Cependant, l’ICAJE a rapidement reçu de nombreuses demandes de conseils sur la pédagogie en classe qui permettrait d’incarner de manière cohérente les 28 caractéristiques énumérées. Une fois de plus, la commission s’est mise au travail et a publié en 1993 Pédagogie Ignatienne : Approches Concrètes, plus connue sous le nom de PPI (Paradigme Pédagogique Ignatien). Ce nouveau document propose « quelques aspects de cette pédagogie, permettant d’introduire à une stratégie concrète de l’enseignement. L’aspect de la pédagogie ignatienne proposé ici peut aider à unifier et à concrétiser nombre des principes énoncés dans Les Caractéristiques de l’Education Jésuite« . (N°2)

Le document présentait le PPI comme le moyen d’atteindre la formation intégrale ou l’excellence humaine que le père Arrupe, il y a exactement 50 ans à Valence, en Espagne, avait magistralement résumée dans l’expression devenir une personne pour les autres, à l’exemple du Christ, la vraie personne pour les autres.

En ce sens, le PPI est le comment, la manière d’atteindre cet objectif. Pour ce faire, le document propose 5 dimensions ou éléments à prendre en compte dans le processus « enseigner/apprendre » : le contexte, l’expérience, la réflexion, l’action et l’évaluation. La manière dont ces dimensions sont présentes dans le processus peut varier. Le PPI ne propose pas une séquence fixe mais plutôt certaines dimensions que les éducateurs Jésuites doivent toujours inclure dans leur travail afin de promouvoir un véritable processus de croissance et de transformation intégrale de la personne : la prise en compte du contexte dans lequel l’apprentissage a lieu, à savoir le contexte des élèves et le contexte plus large dans lequel ils sont éduqués. La prise en compte de ce contexte fait partie de la cura personalis, c’est-à-dire du soin, de l’attention et du respect de chaque élève en tant qu’être humain unique au sein de la communauté. Le contexte crée les conditions d’une expérience réelle où une activité déclenche un processus cognitif et affectif qui génère de nouvelles connaissances. Cependant, l’apprentissage ne s’arrête pas là. Cette expérience doit être accompagnée d’une réflexion qui aide l’apprenant à approfondir l’expérience et donc à atteindre un niveau d’apprentissage plus profond et plus critique. Mais « une réflexion sur la pédagogie ignatienne serait mutilée si elle se limitait à l’intelligence et à des réactions affectives. La réflexion ignatienne, qui commence avec la réalité de l’expérience, s’achève nécessairement avec une même réalité à réaliser. La réflexion ne prend toutes ses dimensions et toute sa force que lorsqu’elle favorise décision et engagement » (N° 60). Ainsi, le but du PPI est que le processus éducatif conduise à une action telle que la croissance humaine basée sur une expérience réflexive qui transforme l’élève et son environnement. Bien entendu, tout processus éducatif doit toujours s’accompagner d’une évaluation continue qui alimente le processus, permet de l’améliorer et de détecter les points à améliorer. En ce sens, l’évaluation n’est pas seulement académique mais intégrale, car elle doit être orientée vers l’excellence humaine mentionnée plus haut.

Qu’est-ce que le PPI n’est pas ?

Le PPI a fait couler beaucoup d’encre. Toutefois, il est important d’écarter certaines interprétations qui risquent d’en obscurcir l’utilisation ou l’objectif. Le PPI n’est pas:

• Une méthodologie qui suit une séquence en 5 étapes.
• Un format ou un modèle pour préparer ou rendre compte des leçons de classes.
• Les cinq dimensions du PPI ne doivent pas être considérées comme des étapes à suivre. Il est vrai que le paragraphe 32 du document parle d’étapes, mais dans le contexte général du document, il est clair que le terme étape (compris comme une séquence fixe) n’est pas approprié pour décrire la relation dynamique qui devrait exister entre ces dimensions. Le paragraphe 58, par exemple, explique la relation dynamique entre les différentes dimensions.

Qu’est-ce que le PPI ?

• Le PPI est un style pédagogique né et nourri de la vision spirituelle d’Ignace de Loyola exprimée dans les Exercices Spirituels. En tant que style pédagogique, il peut et doit être combiné avec d’autres pédagogies pour atteindre l’objectif de contribuer à l’éducation holistique des élèves. « Au cours des siècles, un bon nombre d’autres méthodes spécifiques plus scientifiquement établies par d’autres éducateurs ont été adoptées au sein de la pédagogie Jésuite, dans la mesure où elles contribuaient à atteindre les buts de l’éducation Jésuite ». (N°8). La pédagogie Ignatienne, depuis le début, a été éclectique et a puisé dans différentes méthodes et pédagogies, en utilisant toujours l’expérience spirituelle Ignatienne comme critère ultime de sélection.
• En ce sens, les 5 éléments du PPI peuvent être décrits comme des dimensions qui devraient toujours être intégrées aux pratiques et méthodes pédagogiques utilisées, quelles qu’elles soient. Ces 5 éléments se retrouvent dans de nombreuses pédagogies actives aujourd’hui. En ce sens, ce qui rend le PPI Ignatien, ce ne sont pas ces dimensions, mais la vision qui les nourrit et l’objectif qu’elles servent. C’est pourquoi le PPI doit toujours être lu avec Les Caractéristiques et maintenant avec le document plus récent Une Tradition Vivante (2019) qui présente la vision plus large dans laquelle s’inscrit la pédagogie Ignatienne.
• Le PPI est également « un modèle nous apprenant comment procéder pour promouvoir le but de l’éducation Jésuite, un exemple type qui s’adresse au processus enseigner/apprendre, qui concerne le rapport enseignant/enseigné, qui a une signification et une application concrète pour la classe ». (#. 21, voir aussi # 75).
• En outre, le PPI est un outil qui guide l’éducateur dans la préparation des meilleures conditions d’apprentissage et dans le choix des activités les plus pertinentes. « Le Paradigme peut beaucoup pour aider les élèves à établir des liens entre les disciplines et à l’intérieur de celles-ci, pour intégrer ce qu’ils apprennent avec ce qui s’est passé auparavant. » (N° 73).
• Le PPI constitue, pour utiliser une expression profondément Jésuite, « notre manière de procéder dans les écoles Jésuites lorsque nous accompagnons l’élève dans son itinéraire pour devenir un être pleinement humain… en sachant bien que cela doit être adapté et appliqué à nos situations personnelles et spécifiques. » (N° 29).
• Enfin, nous pouvons dire que le PPI est, comme son nom l’indique, un paradigme, c’est-à-dire une vision qui fournit la base et le modèle pour articuler la pédagogie Ignatienne.

Mais le PPI est-il encore pertinent dans le contexte actuel ?

Le PPI a été publié il y a 30 ans. Il est vrai que notre contexte a changé à bien des égards. Le document Tradition vivante tient compte d’un grand nombre de ces nouveaux développements. Nous pourrions même affirmer que l’art et la science de la pédagogie ont énormément évolué et que nous en savons beaucoup plus aujourd’hui sur la manière de créer de meilleures conditions d’apprentissage et de développer de meilleures méthodes d’enseignement. Par exemple, les progrès réalisés dans l’étude du cerveau avec la neuro-didactique, les nouvelles technologies d’apprentissage, l’intelligence artificielle, l’internet et bien d’autres avancées signifient qu’il existe de nouvelles propositions pédagogiques qui intègrent mieux ces nouvelles connaissances et ces avancées. Aussi, le PPI est-il toujours d’actualité pour nos écoles ?

Je pense que la réponse est oui. Le PPI est toujours valable, mais seulement si nous le comprenons dans son vrai sens, comme expliqué ci-dessus. S’il est compris comme des étapes, un modèle ou une méthodologie, il n’a pas grand-chose à offrir face à des méthodologies beaucoup plus puissantes aujourd’hui. S’il est compris comme un style pédagogique, un modèle, un guide et comme notre façon de procéder, il reste valable. Un exemple peut aider à illustrer ce point : comment puis-je, en tant que professeur de biologie, ou en tant qu’éducateur au sein d’une équipe travaillant sur des projets pédagogiques intégrés, appliquer le PPI ? La première chose, dans notre tradition pédagogique, est de « faire du shopping » et de visiter le marché pédagogique pour discerner les meilleures méthodes et pédagogies disponibles pour l’apprentissage de la biologie ou la participation à des projets pédagogiques. Cela peut nous amener à utiliser des méthodologies néo-constructivistes, des intelligences multiples ou des approches du type « écoles intelligentes ». Mais si nous voulons le faire dans le style Ignatien et dans notre tradition pédagogique, le PPI devient un outil indispensable pour cela de deux manières. Premièrement, le PPI nous aidera à visiter le supermarché de l’éducation avec des critères prédéfinis. Nous ne cherchons pas n’importe quel ingrédient, ni celui qui est actuellement à la mode… nous cherchons des ingrédients qui servent l’objectif que nous visons dans l’éducation et dans notre façon de procéder. Le PPI sert de critère fondamental (de concert avec Les Caractéristiques et Tradition Vivante) pour trouver ces ingrédients et ne pas perdre la saveur Ignatienne. Deuxièmement, le PPI nous aide à intégrer et à « enculturer » ces nouveaux ingrédients, méthodes ou pédagogies d’une manière qui soit appropriée à notre tradition. En d’autres termes, nous devons utiliser des projets pédagogiques à partir d’une vision et d’une pratique ignatiennes. À cette fin, le PPI devient un outil fondamental avec, comme nous l’avons déjà mentionné, les deux autres documents, Les caractéristiques et Tradition Vivante. Le Père Général Sosa l’a bien expliqué : « Tradition Vivante ne remplace pas les textes précédents. Il les complète et les met à jour dans une perspective de discernement permanent. Les trois documents dont il est question ici devraient être considérés ensemble comme formant un ensemble, qui présente le cadre contemporain de l’Education Jésuite ». (Lettre de présentation du document Tradition vivante, 5 novembre 2019).

Le Père Johnny Go SJ et Mme Rita J. Atienza ont publié un livre important qui reflète avec précision cet exercice de discernement en cours et, en particulier, la manière dont le PPI peut être intégré aujourd’hui dans des développements pédagogiques plus contemporains. Dans leur livre « Apprendre par Réfraction : Guide Pratique de la Pédagogie Ignatienne au 21ème siècle », (Ateneo de Manila University Press, 2019), les auteurs présentent une interprétation contemporaine du PPI en dialogue avec les développements pédagogiques actuels. Le livre représente un nouvel exercice éclectique de discernement où les nouvelles pédagogies sont intégrées à partir de la vision Ignatienne et mises au service de notre mission dans l’éducation. Le livre soutient un PPI actualisé pour aider les apprenants d’aujourd’hui à devenir des agents de transformation d’eux-mêmes et de leur environnement, de vraies personnes pour et avec les autres. La pédagogie Ignatienne nous encourage à apprendre en agissant et à toujours répondre de manière créative à de nouveaux contextes. Apprendre par Réfraction montre très clairement que le PPI est encore d’actualité et qu’il nous aide à intégrer de nouvelles propositions pédagogiques qui servent à inviter nos élèves à devenir des personnes pour et avec les autres, en suivant l’exemple du Christ tel qu’expliqué par le Père Arrupe il y a 50 ans. Il ne fait aucun doute que le PPI est encore d’actualité et qu’il continue à nous aider à aller de l’avant.

AMDG