Bien-Aimé Don Pedro : “Un Homme pour les autres”- Article n° 5: ST IGNACE ET ‘IGNATIEN’

En cette année 2023, alors que nous célébrons le 50ème Anniversaire de la célèbre exhortation du Père Pedro Arrupe “Hommes et Femmes pour les Autres”, nous sommes ravis de partager l’article N°5 de la série Bien-aimé Don Pedro ” Un Homme pour les Autres”.

Cette série d’articles écrits par le Père Hedwig Lewis SJ, un grand écrivain Jésuite de la Province du Gujarat en Inde, couvre des anecdotes de la vie du Père Arrupe, ses écrits, ses expériences vécues et ses réflexions spirituelles.

Tous les éducateurs de notre communauté mondiale sont invités à apprendre et à réfléchir sur l’identité du Père Pedro Arrupe et sur l’héritage qu’il a légué à l’éducation Jésuite !

Nous partagerons un article par mois. Vous êtes tous invités à partager vos réflexions et vos commentaires dans la section des commentaires située au bas de chaque article.

Nous vous souhaitons un agréable voyage dans la découverte du Père Pedro Arrupe et des racines de sa célèbre exhortation ” Hommes et Femmes pour les Autres “.

Voici l’article N°5 “St Ignace And ‘Ignatien’”.

 

ST IGNACE ET ‘IGNATIEN’

En 1965, lorsque des photos du Père Pedro Arrupe furent envoyées aux communautés Jésuites du monde entier après son élection comme Supérieur Général, les gens commencèrent à faire des comparaisons entre ses traits et ceux d’Ignace, lesquels étaient fort semblables. Tous deux avaient une carrure légère, un front haut et bombé, un nez en bec de canard et un comportement qui respirait la fermeté, la gaieté et la douceur.

Leur histoire présente également d’importantes similitudes.

_ Les deux hommes sont les seuls Basques à avoir été élus Supérieurs Généraux des Jésuites. Leurs lieux de naissance, dans le nord de l’Espagne, sont distants d’environ 40 kilomètres.

_ Chacun était le plus jeune enfant; la mère de Pedro était morte quand il avait dix ans, tout comme celle d’Ignace était morte quand il était très jeune. Leurs pères sont également décédés assez jeunes, de sorte qu’ils se sont retrouvés seuls très tôt dans la vie.

_ La première carrière des deux n’avait pas de lien direct avec la vie religieuse: Ignace était courtisan-soldat, Pedro s’était lancé dans la médecine.

_ Tous deux ont vécu des expériences de « conversion »: Ignace pendant sa convalescence à Loyola, Pedro après avoir été témoin de trois miracles à Lourdes. La distance séparant Loyola de Lourdes est d’environ 240 km.

_ Chacun d’entre eux s’est lié d’amitié avec ses camarades d’études au cours de ses études universitaires. Ignace conquit un petit groupe qui allait devenir les membres fondateurs de la Compagnie de Jésus. Pedro, lui aussi, s’est rapproché de ses condisciples madrilènes de différentes manières. L’un d’entre eux, Chacón, qui étudiait l’ingénierie minière, était très redevable à Pedro de ses encouragements et de son attention, qui lui permirent de réussir un examen difficile.

Comme Pedro, Enrique rejoignit les Jésuites et devint un érudit réputé. Un autre de ses camarades d’études à rejoindre la prêtrise fut [le Père] Vasco, qui s’orienta vers le service social, vivant dans la pauvreté dans une banlieue de Madrid.

_ Chacun d’entre eux prit le temps d’interrompre ses études pour se mettre au service des pauvres.

_ Pedro entra dans la Compagnie à Loyola, près de la ville natale d’Ignace, puis quitta sa patrie, comme Ignace. Chacun a d’abord rêvé d’aller servir le Seigneur dans un pays non chrétien, la Terre Sainte pour Ignace et le Japon pour le Père Arrupe.

_ Ils ont tous deux connu l’emprisonnement sans procès pendant un mois ou plus.

_ Chacun a été Supérieur Général pendant une quinzaine d’années. L’attention portée aux pauvres et aux sans-abris était l’une de leurs principales préoccupations.

_ Ignace demanda à démissionner après une décennie; ses compagnons le persuadèrent de rester. C’est ce qu’il fit, mais peu de temps après, il tomba malade et ne se rétablit jamais complètement. Le Père Arrupe suggéra d’abord sa propre démission après quinze ans de service, mais sa proposition fut rejetée. Un an plus tard, il fut victime d’une attaque cérébrale qui mit pratiquement fin à son mandat.

_ Chacun d’entre eux a servi dans une période turbulente. Pour Ignace, il s’agissait du suivi du Concile de Trente ; pour le Père Arrupe, il s’agissait des nouveaux défis auxquels l’Eglise était confrontée après le Concile Vatican II. L’un de ses principaux conseillers a qualifié le Père Arrupe de « second Ignace, refondateur de la Compagnie à la lumière de Vatican II ».

_ Chacun d’eux professa sa loyauté envers le Pape [dans les deux cas, le Pape Paul], tout en ayant parfois des points de vue différents.

_ Chacun d’eux fit preuve d’une sérénité extraordinaire dans des situations qui auraient écrasé ou découragé des mortels plus modestes.

_ Le père Jérôme Nadal écrivit au sujet d’Ignace: « Il est mort alors qu’il avait accompli sa mission. » On pourrait en dire autant d’Arrupe.

Ignace, comme le soulignait le Père Arrupe, était à la fois le fondateur et le premier Général de la Compagnie. En tant que Général, il a dû appliquer ses idées de Fondateur aux circonstances de son époque.

« Je dois imiter le Fondateur, mais pas nécessairement le Général. Je dois appliquer l’inspiration d’Ignace en tant que Fondateur, aux Jésuites et aux circonstances actuelles. ».

 

Le Charisme Ignatien du Père Arrupe

Dans ses  » conversations autobiographiques  » avec le père Dietsch, juste avant son accident vasculaire cérébral, le Père Arrupe révèle comment il s’est imprégné de l’esprit du Fondateur.

« Peut-être suis-je un « connaisseur », comme on dit en France en parlant des vins ! Pour comprendre cela, il faut d’abord se rappeler que j’ai fait mon noviciat à Loyola, et que j’ai beaucoup profité de notre proximité avec la ‘Santa Casa’ où Ignace a vécu et fait ses premières expériences spirituelles. J’étais proche, pour ainsi dire, de la vigne dont nous sommes tous issus. »

« Un moment décisif s’est produit au moment de notre expulsion d’Espagne. Les jeunes Jésuites partaient pour la Belgique et avaient deux semaines pour rendre visite à leurs familles. Je ne suis pas rentré chez moi, j’ai pris une chambre dans une institution religieuse et, pendant deux semaines, j’ai étudié le volume des Monumenta historica societatis Iesu [ce recueil des premières années de la Compagnie] qui traite des Exercices spirituels. Je l’avais emporté – je me souviens, sans demander la permission ! – dans le petit bagage que nous avons pu emporter pour l’exil. Cette période de lecture, de prière et de réflexion m’a permis d’entrer profondément dans la pensée et la spiritualité de saint Ignace. »

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Il est bien connu qu’Arrupe était profondément imprégné de la spiritualité Ignatienne. Il appelait constamment les Jésuites à revenir à l’esprit du Fondateur, même s’ils s’efforçaient « d’inculturer » les idéaux Jésuites.

On a dit de saint Ignace que l’un des faits les plus significatifs de son histoire personnelle est qu’il n’a pas hésité à aller à l’école à l’âge adulte : il savait écouter, avec une réceptivité qui allait au-delà de la simple intelligence, et qu’il appelait lui-même « connaissance intérieure ».

Mais la similitude entre Ignace et Arrupe ne s’arrête pas là. En fin de compte, ils se rejoignaient dans ce que l’on peut considérer comme le cœur du charisme du Fondateur : le paradoxe de la loyauté comme libération. La fidélité est quelque chose qui lie, mais la fidélité au Christ est une libération, une rédemption de tout ce qui empêche une croissance véritable et totale, car elle conduit à l’expérience que l’homme Jésus avait de son Père, de Dieu en tant qu’absolu et de tout le reste en tant que relatif.

C’est cette vérité qui nous rend libres et nous permet de tout embrasser : l’Église et ses institutions pesantes, le monde et tous ses problèmes désordonnés – non pas comme un fardeau ou un esclavage, mais plutôt comme des opportunités pour un plus grand service, pour une plus grande libération. Parmananda Divarkar SJ

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« Le mandat de Don Pedro en tant que Général visait à promouvoir le renouveau de la vie Jésuite. Comme Vatican II l’avait indiqué, cela impliquait deux processus simultanés : un retour continu à l’inspiration originelle et au charisme de saint Ignace, le Fondateur, et en même temps une adaptation aux conditions changeantes de l’époque. Ces deux processus ont été au centre de la vie et de l’action de Pedro Arrupe tout au long des 18 années de son Généralat.

L’une des raisons de son immense attrait était précisément sa capacité à combiner ces deux principes à un degré remarquable, dans sa propre personne. Il a fait preuve d’une connaissance et d’une compétence inépuisables dans le traitement de tout ce qui est fondamental dans la vie du Jésuite : les Exercices Spirituels, les Constitutions et les Lettres de Saint Ignace. Mais en même temps, il était très conscient des problèmes contemporains et des besoins de l’Église, et il était ouvert au changement. »        Vincent T. O’Keefe SJ

« Lorsque le père Arrupe effectua sa première visite aux Jésuites à Paris », raconte son successeur Peter-Hans Kolvenbach, « j’étais étudiant et mes obligations m’empêchèrent d’être présent lorsqu’il prit la parole. Ce soir-là, à table, j’interrogeai un jésuite sur le discours du nouveau Général. Visiblement indigné, il me dit que le Général avait fait une affirmation scandaleuse en disant qu’un jésuite fidèle à ses obligations religieuses n’était pas nécessairement un bon Jésuite… »

« Malgré la réaction négative de mon compagnon, le Père Arrupe était en parfaite harmonie avec l’interprétation la plus traditionnelle de la spiritualité Ignatienne qui consistait à insister sur le ‘magis’ [‘le davantage’], entendu non pas nécessairement comme ‘plus d’activités’, une augmentation du travail, mais plutôt comme l’effort de se laisser guider de plus en plus par l’Esprit pour devenir des serviteurs de la mission du Christ. Une mission qui exige une disponibilité totale, [est]ouverte aux surprises, à la conversion du cœur, pour emprunter de nouveaux chemins sans craindre les risques. »

Un jésuite américain, se rendant compte du rythme intense auquel travaillait le Père Arrupe,
l’invita à l’accompagner dans une pizzeria. « Mais tout le monde me reconnaîtrait »,
lui fit remarquer le Père Arrupe.
« Alors, mettez une perruque. »

« Mais que vais-je faire de mon nez ? » dit Arrupe avec humour.

Sketch par le Père Bouler SJ [1972]