Christus Vivit 1: Dieu parle au cœur

Par Educate Magis
Mai 24th, 2019

Ceci est le premier d’une série de blogs de régents jésuites basés sur l’exhortation apostolique du Pape François sur les jeunes : Christus Vivit. Dans cette première réflexion, François Xavier nous raconte comment le document pontifical lui a réaffirmê dans sa mission d’accompagner spirituellement  les jeunes  et  lui a  rappelé du moment « Emmaüs » qu’il a vécu avec un de ses élèves un certain dimanche des Rameaux.

<<La clairvoyance de ceux qui ont été appelés à être père, pasteur ou guide des jeunes consiste à trouver la petite flamme qui continue de brûler, le roseau sur le point de se briser (cf. Is 42, 3), mais qui cependant ne se rompt pas encore. C’est la capacité de trouver des chemins là où d’autres ne voient que des murailles, c’est l’habileté à reconnaître des possibilités là où d’autres ne voient que des dangers. Le regard de Dieu le Père est ainsi, capable de valoriser et d’alimenter les semences de bien semées dans les cœurs des jeunes. Le cœur de chaque jeune doit donc être considéré comme une “terre sacrée”, porteuse de semences de vie divine devant lesquelles nous devons “nous déchausser” pour pouvoir nous approcher et entrer en profondeur dans le Mystère. >> (Christus Vivit 67)

Quand Jésus s’invite à marcher avec les disciples sur le chemin d’Emmaüs, ces derniers reconnaissent, une fois ce denier parti, que leur cœur était tout brûlant quand Jésus leur parlait… Dans l’ordinaire de notre quotidien, des rencontres peuvent changer le cours d’une vie, mais bien souvent cela se fait avec douceur, sans fracas… Une étincelle s’allume dans le cœur et elle devient, petit à petit, une lampe sur notre route. Lors du weekend des Rameaux à Taizé, Jean, 17 ans, est cet autre disciple avec qui je faisais route ce jour-là.

Nos échanges ont fait suite à une question qu’il m’a posée : « Comment as-tu su que tu étais appelé à être Jésuite ? ». Nous étions à peine arrivés. J’avoue avoir été surpris dans un premier temps d’une telle question puisque le weekend venait à peine de commencer. En bon jésuite, je lui demande de préciser sa question car je la sentais bien venir comme un iceberg : la face immergée semblait être beaucoup plus importante que la face émergée. Voici ce qu’il m’a dit : « Pour parler de la vocation, on entend souvent qu’il faut entendre un appel, mais moi, je ne me sens pas appelé. Je n’ai pas reçu d’appel. J’ai été très heureux de me préparer à la confirmation et de recevoir ce sacrement en novembre, mais que faire plus tard ? je n’en sais encore trop rien… Mais du coup, pour toi comment ça s’est passé ? Comment as-tu été appelé ? ».

Nouvelle question, difficile d’esquiver une seconde fois. Je me lance donc et raconte comment cela s’est passé pour moi. Je lui raconte ce moment fondateur de ma vocation, où à 8 ans, devant le saint-sacrement à Lisieux, j’ai été touché par Jésus. Impossible de dire précisément ce qui s’est passé : au fond de mon cœur, je savais qu’il était là. Les mots me sont venus spontanément : « oui Seigneur, je suis à toi ! ». J’ai fait le choix de donner ma vie à Dieu, d’être tout à lui, chaque jour de ma vie… Et pourtant, il n’est pas question de savoir encore comment concrètement cela se ferait… Être prêtre ? pourquoi pas… mais pas sûr !

Pendant mon enfance et jusqu’à l’adolescence, j’ai cultivé cette nouvelle relation avec Jésus. Oh, rien de particulier. Jésus est simplement devenu un ami, une personne avec qui je pouvais parler, lui raconter ce que je vivais. Deux figures de saints sont également devenues des compagnons de route : Ste Thérèse de l’Enfant Jésus et St François Xavier, mon saint patron. Leur exemple m’a inspiré. Sans trop le savoir, j’ai cheminé avec eux… Ils m’ont aidé à grandir et à affronter la vie, intérieurement comme extérieurement.

A l’adolescence, j’ai mis cela de côté. Pour moi, c’était l’âge des grandes remises en question. J’avais besoin de voir par mes yeux pour croire ! J’étais en quête de sens, sur la vie, mais aussi sur moi-même : « au fond, qui étais-je ? ». Il me fallait apprendre à parler en « je », poser des choix personnels, devenir l’acteur principal de ma vie… Cette question du sens à donner à ma vie est revenue pendant mes études, après une rencontre avec une religieuse. J’étais préoccupé à faire la fête et elle m’a redit les mots d’Ignace à François Xavier : « A quoi sert de gagner le monde, si c’est pour perdre son âme ? » (Mt 16, 26). Et elle ne s’est pas arrêtée là : « et toi, quel sens veux-tu donner à ta vie ? ».

Cette question m’a retourné et a changé le cours de mon existence. J’y ai remis de l’ordre, c’est à dire que j’ai revu les priorités de ma vie : 1. Jésus. 2. la relation avec le prochain et le service : j’ai repris le scoutisme. 3. l’accompagnement : on n’avance pas seul dans la foi ! Ensuite ? Eh bien, il m’aura fallu 5 autres années avant d’entrer dans la Compagnie : d’abord finir mes études (2 ans), ensuite, partir en Namibie en tant que volontaire de solidarité internationale (2 ans) et entrer au séminaire (1 an). C’est là, au cours d’une retraite selon les exercices, que le long chemin parcouru a pris sens : « viens suis-moi » ! (Mt 9, 9).

A la fin du récit, j’avais répondu pour moi mais je sentais bien que je n’avais pas répondu pour Jean. Nouvelle objection donc : « est-ce que tout le monde est appelé ? Moi, clairement, je ne me sens pas encore appelé et pourtant je veux faire quelque chose de ma vie… pour Dieu également ». Il me semble alors avoir été beaucoup plus évasif : chacun personnellement est appelé ! Tout baptisé l’est ! La vocation, ce n’est pas seulement être prêtre ou religieux. Chacun est appelé à répondre à l’appel qui lui est fait, dans sa vie. Car c’est d’abord une invitation au bonheur, à la sainteté : il s’agit d’accueillir dans sa vie, la vie même de Dieu… L’invitation que je lui ai faite est donc d’être à l’écoute de ce qui le rend heureux et à choisir en fonction de cela…

La conversation s’est arrêtée là mais je sentais bien que Jean allait rester sur sa faim. J’avais simplement élargi le champ de la réponse. Cette dernière est venue, il me semble à la fin du weekend, lorsque nous avons rencontré un Frère de la communauté de Taizé. Un jeune lui a demandé comment il en était venu à être Frère de Taizé. Fr Pierre ne s’est pas beaucoup étendu sur le sujet. Il lui a dit qu’il avait fait des études d’ingénieur et travaillé dans le bâtiment et les travaux publics. A l’époque, il gagnait bien sa vie et pourtant, ce n’est pas ainsi qu’il voulait vivre. Il ne voyait pas de sens à cela. Il est venu passer quelques jours à Taizé. Ce qu’il a vécu ? Il n’a pas su le dire : il est souvent difficile de dire ce qu’on peut ressentir. Mais il est reparti avec une petite flamme dans le cœur. Oh, pas un gros truc : un peu comme lorsqu’on souffle sur une braise. Au début, la flamme est à peine perceptible. Mais elle chauffe et si on continue à souffler, elle grandit. C’est cette image qu’il a employée. Jésus ne lui a pas dit quoi faire : il ne l’a pas « appelé »… Il s’est fait l’hôte tout intérieure de sa vie. Et petit à petit, il est devenu Frère de Taizé…

De cette conversation, je garde plusieurs enseignements :

  • D’abord, Dieu parle au cœur de chacun et cela de manière unique et particulière. Il n’y a pas deux chemins semblables, mais il y a autant de manière d’aimer et d’être aimé qu’il y a de personnes.
  • Bien souvent, nous ne savons pas où nous allons. Le chemin est une invitation de chaque jour à faire avec le Seigneur dans l’Esprit. C’est lui le moteur, cette présence agissante dans nos cœurs et dans nos vies. L’Esprit souffle mais sans qu’on sache ni d’où il vient ni où il va… Il s’agit donc de se laisser conduire du mieux possible.
  • Se laisser conduire, mais avec la richesse du compagnonnage : les disciples d’Emmaüs étaient deux. Jean a été cet autre disciple pour moi. Sa question est venue me remettre dans le sillon qui continue de se creuser pour moi. Il y a un enjeu existentiel pour chacun, une promesse de vie et de bonheur : quand Dieu passe, il allume un feu dans notre cœur ! Et il y a de quoi en vivre et se réjouir !

Les jeunes nous enseignent et leurs questions sont les nôtres. Nous pouvons rendre grâce pour cela !