Entrevue : « Accompagner les jeunes lors d’une pandémie mondiale » Andrianaivosoa Herizafiniaina SJ, Coordinateur des Ecoles Jésuites à Madagascar – JASBEAM

En ces temps sans précédent que nous présente la pandémie mondiale, le troisième PAU, « Accompagner les jeunes dans la création d’un avenir porteur d’espérance », est devenu encore plus important qu’auparavant. De nombreuses écoles font un travail incroyable pour accompagner leurs élèves en ces temps étranges. Dans le but de faire écho et de partager certaines des merveilleuses façons dont les écoles des différentes provinces jésuites ont accompagné leurs élèves au cours des derniers mois, nous avons invité les délégués à l’éducation du monde entier à partager quelques réflexions de leurs provinces. Dans cet article, Andrianaivosoa Herizafiniaina SJ (Andry), Coordinateur des Ecoles Jésuites à Madagascar en JASBEAM, nous fait part du travail que les écoles de son pays ont accompli pour accompagner leur jeunesse au cours des derniers mois.

 

1.Quelle est votre opinion générale sur la PAU #3 maintenant que notre système éducatif a été contraint de s’adapter à une « nouvelle normalité »?

Madagascar fait partie des nombreux pays où la majorité de leurs populations sont jeunes. Notre opinion générale sur PAU #3 est très positive. Les jeunes malgaches sont en difficulté, confrontés à de nombreux défis dans leur vie. Grâce à l’éducation, nous pouvons les aider à faire face à ces défis et à trouver un sens à leur vie, à avoir de l’espoir, à réaliser leurs rêves et à les rapprocher de Dieu.

Le PAU #3 est encore plus actuel que jamais, surtout en ce moment où nous faisons face à la crise sanitaire de covid-19. Sa mise en œuvre est une opportunité à saisir. Elle est à considérer comme un axe stratégique, et donc à étoffer par un Plan d’action stratégique fondé sur l’analyse méthodique de la situation et l’émergence d’une nouvelle vision, appuyé par des anciennes et nouvelles stratégies. Elle est aussi à considérer comme un axe opérationnel, et donc à traduire par des actions systémiques à réaliser.

Selon le modèle de Jésus-Christ, nous sommes appelés à « annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs la délivrance, aux aveugles le recouvrement de la vue, renvoyer libres les opprimés, publier une année de grâce du Seigneur » (Lc. 4 : 18-19). Le PAU #3 confirme cette mission. Nos écoles sont les vignobles où nous rencontrons les plus petits frères et sœurs de Jésus.

 

2. Pourriez-vous nous parler de la façon dont les écoles de votre Province ont accompagné et pris soin des élèves? Quelles mesures avez-vous prises avec vos écoles?

Les écoles à Madagascar étaient fermées pendant 6 mois en raison de la pandémie. Il était difficile d’accompagner les étudiants pendant cette période car tout le monde était confiné à la maison. Peu d’écoles pouvaient donner des cours et des devoirs en ligne, selon les moyens qui leurs étaient disponibles. Dans une telle situation, l’accompagnement des étudiants en tant que tel était très limité.

Depuis le début du mois d’octobre 2020, nous avons pu reprendre les cours en classes, tout en faisant nos mieux pour respecter les mesures sanitaires nécessaires. La longue absence causée par la pandémie a entrainé une difficulté à se concentrer aux études, au cours. Nous avons ainsi essayé d’aider les jeunes, dès le début, à retrouver la concentration et les bonnes habitudes dans leurs études.

Pendant les semaines d’orientation, l’initiation aux méthodes de prières selon les Exercices spirituels de St-Ignace, notamment la pratique périodique de l’Examen de Conscience, fait partie de nos préoccupations. Nous remarquons que nos jeunes ont cette soif de mener leur vie selon la volonté de Dieu.

Nous avons privilégié la mobilisation de l’Equipe spirituelle : pas seulement pour les diverses animations spirituelles, les instructions religieuses, la préparation à la réception des Sacrements et leur célébration, les recollections et retraites, mais aussi par l’apostolat d’écoute et l’adaptation de la retraite dans la vie courante pour certains élèves qui veulent effectuer un cheminement spirituel durant ses temps d’études au Collège. En ce moment de crise sanitaire, nous mettons plus d’accent à l’écoute et à l’accompagnement pour aider les jeunes à faire face aux diverses conséquences de cette crise.

Nous avons aussi conscientisé nos jeunes sur les 4C caractérisant l’éducation jésuite : conscience, compétence, compassion, engagement, y ajoutant le soin et l’attention particulière à la maison commune et le réseautage.

Comme nous formons des hommes et des femmes avec et pour les autres, le travail en groupe et la formation des équipes solidaires font partie de nos stratégies. L’accompagnent n’est pas seulement un rôle attribué aux éducateurs ; les jeunes peuvent aussi s’entraider, écouter les uns les autres, prier pour chaque membre…

L’école des parents fait déjà partie de nos programmes depuis des années. Chaque année, nous invitons les parents à participer aux débats et aux conférences sur l’éducation des jeunes pendant lesquelles nous avançons différents thèmes liés aux problèmes et défis de la jeunesse aujourd’hui.

Enfin, nous pensons à intégrer dans nos programmes annuels des ateliers d’orientation où nous invitions les entrepreneurs, les médecins, les enseignants, etc. pour parler de ces métiers et parcours de formations à nos jeunes. Cela facilitera la prise de décision de la part des étudiants cherchant à préparer un avenir meilleur.

 

3. Selon vous, quels ont été et sont toujours les principaux défis de cette PAU pour les écoles de votre région ?

Les défis sont nombreux. Nous citons parmi tant d’autres :

–          Sur l’interculturalité.

La mission éducative que nous effectuons à Madagascar doit considérer l’identité et la situation culturelle de nos élèves et leurs parents en sachant leurs forces, leurs faiblesses, ainsi que les opportunités et les menaces qui s’y rattachent. Pour en être efficace, il faudrait donc respecter tout d’abord l’identité et le rythme de tout un chacun, tout en aménageant un cadre lui permettant de s’épanouir dans la diversité. C’est ainsi qu’il accéderait dans l’acceptation mutuelle, la communion dans la paix, …

–          Sur le rapport entre la culture et la mondialisation.

L’impact de la forme actuelle de la mondialisation, véhiculée en particulier par la NTIC, se fait sentir facilement sur l’attitude et les comportements de nos élèves : envers leurs parents et leurs éducateurs, ainsi qu’entre eux-mêmes. Notons par exemple l’homogénéisation des façons de réagir, de s’habiller, etc. Nous devons chercher et trouver les bons paradigmes à soutenir et à promouvoir pour bien mettre en rapport la culture locale ou personnelle et cette culture mondiale en vogue. L’effort d’enraciner l’éducation sur la culture vivante vécue par les élèves s’avère alors primordiale. Mais il faudrait y intégrer par la suite les apports positifs de la mondialisation, avec discernement bien sûr (par rapport à un repère ou un système de valeurs à faire connaître).

–          Sur la démotivation aux études et à la prise en main de sa vie.

Dans un pays comme le nôtre où l’adéquation entre formations et emplois n’est pas encore bien établie, où les situations politique et économique ne donnent pas beaucoup d’espérance pour résoudre les problèmes sociaux, où le système éducatif proposé par le gouvernement n’est pas convainquant, …, chaque école devrait se débrouiller pour trouver des stratégies ou des astuces pour motiver la Communauté éducative à prendre au sérieux la mission éducative, à la rendre attirante et plus efficace et effective. Ce qui nous pousse par exemple à miser ces temps-ci sur le renforcement de l’identité jésuite de nos écoles, en promouvant par exemple le « cura personnalis ».

La crise de Covid-19 renforçait la crise de l’éducation à Madagascar. Il y a trop de tâtonnement dans la recherche d’innovation sur le système éducatif. La crise politique répétitive reste aussi un des blocages de cette innovation. Les éducateurs jésuites, en collaboration avec des spécialistes en matière d’éducaton, doivent faire le pas sur l’établissement d’un programme éducatif adéquat aux jeunes et à la situation actuelle du pays.

 

4.  Quels conseils donneriez-vous aux autres écoles / provinces à prendre en compte, tout en utilisant cette PAU comme une lentille pour leur travail? Par exemple, comment pouvons-nous mieux accompagner nos étudiants ou pourquoi pensez-vous que c’est si important?

A notre avis, chaque école doit :

–          Miser sur l’Equipe spirituelle, en l’étoffant davantage (avec des collaborateurs religieux et laïcs), en organisant mieux ses activités, en renforçant la capacité de ses membres, en leur donnant les moyens (bureaux, équipements, etc.)

–          Aménager des espaces facilitant les rencontres entre les éducateurs et les élèves ou leurs parents.

–          Mieux organiser l’école des parents ?

–          Promouvoir et multiplier le dialogue en vérité, à travers des portes ouvertes, des rencontres d’évaluation, des convocations des parents, …

–          Multiplier les organisations et activités parascolaires (sessions de rentrée, ateliers, conférences, forums des établissements supérieurs, forums des métiers, etc.).

–          Réaliser des formations et des programmes d’action sur l’écologie, la protection des mineurs, etc.